Tous coupables. Aucun n'est innocent

Par Aida Cherif :

peur


Depuis 1999 j'étais sur le net, la blogosphère tunisienne venait de démarrer, entre les sites, forums et blogs les plus intéressants c'étaient ceux qui dénonçaient le régime de ben ali, ce sont des jeunes et moins jeunes, vivant en Tunisie ou à l'Etranger mais qui n'avaient pas peur pourtant ils connaissaient parfaitement les risques à encourir si jamais on voyait leurs articles.



Il y a 4 ans, j'étais déjà sur facebook, des groupes dénonçant l'arbitraire et le régime répressif n'étaient pas nombreux mais ils étaient francs, directs et très actifs, les blogueurs qui y participaient étaient tout le temps menacés, j'y postais moi aussi mes commentaires, mes articles et mes positions contre le régime en place.

 

 

 

police-internet-tunisieCertes, je suis en France mais même ici nous n'étions pas à l'abri de menaces, des compatriotes ont été tabassés en plein cœur de paris par les sbires de Ben Ali et beaucoup peuvent en témoigner, le système ben ali a des tentacules  partout et malheureusement les renseignements français apportent leur soutient à ces sbires sous la même couverture : neutraliser les éléments qui pourraient déstabiliser l'opinion publique en Tunisie à partir de l'étranger, en résumé sous ben ali un tunisien opposant était menacé où qu'il se trouvait car quand on ne l'attaque pas directement c'est sa famille restée en tunisie qui était attaquée et là encore beaucoup peuvent en témoigner.

 

 

Malgré ces menaces, les risques et le silence assourdissant du peuple en Tunisie, ces gens là dont je fait partie depuis 10 ans maintenant n'ont pas cessé de dénoncer, chercher les vérités et en parler directement avec les amis, les proches et les médias occidentaux et toujours à leurs risques et périls . On ne peut oublier Zouhair Yahiaoui qui est mort suite à son incarcération et beaucoup d'autres cyber-dissidents qui ont croupi dans les geôles et prisons de ben ali  qui ont été comparées avec abou ghreib d'irak par Maître Mohamed Abbou (encore un qui s'est soulevé contre le régime et n'a pas trouvé le peuple à ses côtés)

 

 

Oui aujourd'hui, on est loin de tout ça, le peuple s'est massé dans la rue pour dire au régime DÉGAGE, et il a dégagé,  mais ce même peuple doit se remettre en question et se dire qu'il s'est pris très en retard car des gens libres ont payé de leurs vies des années avant afin de réveiller sa conscience et ces gens là sont les vrais martyrs d'une lutte au quotidien pendant des années et non pas des jours, ces gens là ont patienté, subit tous les déboires d'une dictature féroce et n'ont pas trouvé d'écho à leur cris et leur souffrance parce que ce même peuple, qui se soulève en ce moment  réduit au silence ou par indifférence, a permis un laisser aller et un laisser faire qui ont duré assez longtemps.

 

 

Nous sommes tous coupables d'avoir permit à ce régime de pratiquer toutes sortes d'exactions sur les opposants de la première heure, nous sommes tous coupables d'avoir laissé ben ali durer trop longtemps dans ces manœuvres répressives nous sommes tous coupables d'avoir été muselés et d'avoir eu PEUR.

 

 

Oui nous avons tous eu peur, oui nous avons tous, par crainte, contribué à l'installation de ce régime et sa continuité pendant 23 ans

 

 

18.1.2011_-_Les_employs_de_lassurance_STAR_virent_leur_PDG
Aucun de nous n'est innocent, face à la réalité nous ne sommes pas innocents, nous sommes sur un pied d'égalité  avec le ministre qui a laissé faire, le PDG qui a été forcé de faire et le policier qui a été obligé d'exécuter les ordres.

 

 

Ne venons pas aujourd'hui, parce qu'on a été dans la rue et avons écarté un dictateur, donner des leçons aux ministres, PDG, policiers, Chef de service ou partis politiques, ce n'est malheureusement pas la vengeance qui va instaurer la démocratie mais la tolérance, le pardon et la confiance.

 

 

Nous autres blogueur et cyber-dissidents pouvons très bien reprocher à tout ce grand peuple d'avoir été les présents absents durant 23 ans, les trouillards qui rampaient les rues en se faisant tout petit par peur au moment où nous autres étions menacés et  persécutés mais non on ne peut le faire car nous sommes conscients que la dictature a véhiculé une culture de la peur dans les racines même de la société tunisienne, nous y avons échappé peut-être parce que nous sommes des éternels rebelles et la peur ne nous concerne pas mais ce n'est pas le cas de tout le peuple tunisien

 

 

En 2009, au moment des élections mascarades, beaucoup de personnes m'ont supprimé de leur liste d'amis, il y a encore 3 semaines beaucoup de mes amis ont changé de nom ou pseudo dans leur profil facebook afin de mieux s'exprimer sur les actualités et les événements, le soir du 14 janvier, ben ali a fuit cela a été confirmé mais plein de mes amis hésitaient encore à se prononcer sur les événements pourtant grandioses et ont suscité l'intérêt du monde entier.

 

 

La culture de la peur a handicapé toute la société tunisienne avec ses ministres, ses PDG, ses plantons, ses professeurs, ses avocats, ses juges, ses journalistes et même ses tout petits enfants donc ne soyons pas durs les uns envers les autres et mettons nous à la place de celui qui a subit de plein fouet les déboires de ce régime et a été forcé de signer, vendre ou donner.

 

 

place-du-gouvernement-23janvier2011Ne réduisons pas les objectifs de cette noble révolution à de simples règlements de comptes ou lynchage pour se défouler, la liberté tant espérée ne peut se résumer à de simples actes de nettoyage des institutions, la liberté naissante doit nous faire mûrir et nous sortir justement de ce carcan de la méfiance de l'autre, la peur de l'autre et la haine de ceux qui ont été manipulés, forcés et souvent menacés afin d'exécuter les ordres

 

 

Une semaine après la fuite du dictateur, et l'élan de solidarité qui a envahi toute la Tunisie, la révolution a laissé place à un énorme crise de confiance, une méfiance qui risque de faire basculer le pays dans un chaos insurmontable et dans une insécurité totale de l'intérieur comme de l'extérieur.

 

 

La liberté est difficile à assumer quand on ne la connait pas, on ne l'a jamais vécu et ne fait pas partie de notre quotidien c'est pourquoi le peuple tunisien patauge ne sachant pas comment faire face à cette énorme exploit, il est à la fois méfiant et impatient, il veut en finir avec les restes du régime à peine une semaine après le 14 janvier, les manifestations et protestations n'ont pas cessé et les revendications se sont multipliées et diversifiées et dans tout ce chaos chacun essaie de tirer à son profil un mouvement de masse souvent sans but précis

 

 

Je ne cesse de répéter, si ce chaos et cette anarchie se poursuivent c'est le régime militaire qui va s'instaurer et là on peut dire adieu à la démocratie du moins pendant assez longtemps avant qu'une autre révolutions ait lieu, les militaires c'est pas si gentil que nous le croyons lorsqu'ils sont au pouvoir, il suffit de voir un peu chez nos voisins ou en Égypte ou encore à  Cuba

 

 

En conclusion et à mon avis, faut s'armer d'un minimum de bon sens, de beaucoup de patience et d'une immense vigilance tout en laissant aux libres et compétents responsables des différentes commissions  le temps de remédier à cette situation de blocage afin de mettre la constitution sur la bonne voie qui permettra des élections libres et démocratiques et pendant ce temps faut calmer le pays et sécuriser le climat afin de reprendre l'activité économique.

 

 

ça sert à quoi d'être libre quand on n'a pas une économie prospère, ça sert à quoi d'être libre si tu es toujours au chômage, ça sert à quoi d'être libre quand tu ne mange pas à ta faim .finalement la liberté ce n'est pas dire NON à tout mais c'est savoir accepter des compromis afin d'éviter des situations plus difficiles.

 

 

Tous coupables. Aucun n'est innocent