Je m’appelle Laïcité
Par Dora Bacha :
Bon nombre de Tunisiens m’associent à l’époque Ben Ali et à son régime répressif. Je dois vous avouer que je ne comprends toujours pas cette association. Considèrent-ils que la Tunisie d’avant était laïque ?
Dois-je leur rappeler que sous Ben Ali, les Tunisiens ne pouvaient pas jouir d’une liberté de culte. On embêtait les fidèles qui allaient prier dans les mosquées, on empêchait les femmes de se voiler si elles le voulaient, on traquait les barbus...
Bonjour à tous.
Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je me présente, je m’appelle Laïcité. J’ai constaté récemment que je faisais partie de l’actualité tunisienne depuis quelque temps et qu’il était plus que jamais question de moi, ou pas. Je n’ai pas encore eu l’occasion de m’exprimer jusque là, alors je me décide enfin à le faire, étant donné que je suis la première concernée.
[...] Le Président de la république française Nicolas Sarkozy était l’invité de Guillaume Durand sur France2, et pendant l’émission, en répondant à une question d’une Musulmane de France, il a dit quelque chose comme : nous ne pouvons vous accorder vos fêtes religieuses car la France est un pays laïque. Dois-je vous rappeler Monsieur le Président que Noël, Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, la Toussaint sont des fêtes religieuses ? Dois-je vous rappeler que l’une des mes premières règles exige qu’aucune religion ne doit être privilégiée et qu’il n'y a pas de hiérarchie entre les croyances.
Je dois dire que je me suis sentie profondément insultée et j’ai réalisé à mon grand regret que je n’étais pas appliquée comme je souhaiterais.
J’ai appris dernièrement qu’en Turquie, un pays qui se dit laïque, un parti religieux avait pris des mesures pour durcir les lois sur la vente d’alcool. Encore une fois, mes règles ont été bafouées.
Cela vous semble contradictoire n’est-ce pas ? Comment puis-je revendiquer le droit aux Musulmans d’Europe de pratiquer leur religion en toute égalité et en même temps m’insurger contre des lois religieuses en Turquie ? Et bien, moi, Laïcité, laissez-moi, vous expliquer en trois points qui je suis réellement, ou plutôt qui je ne suis pas :
1) Je ne suis pas l’Occident :
Je défends la liberté, l’égalité et le respect. Ces valeurs ne sont pas des valeurs occidentales mais universelles. Alors quand j’entends certains m’associer à l’occident, j’en conclus qu’ils associent la liberté, l’égalité et le respect à l’occident et je leur pose cette question : cela voudrait-il dire que vous ne vous considérez pas, vous en tant que Tunisiens, comme des défenseurs de la liberté ? Ces valeurs fondamentales et essentielles seraient propres à l’occident selon vous ? Ce serait donc l’occident qui les aurait inventées ? Ne sommes-nous pas capables d’avoir des valeurs en dehors de l’occident ? Un citoyen tunisien est-il un enfant, trop immature pour aspirer au respect, à l'égalité, à la liberté et à la démocratie tout seul, comme un grand, sans avoir un modèle occidental ? Allons ! Je ne suis pas une identité culturelle mais des valeurs universelles. Sachez que je refuse de voir quiconque s’approprier la notion de liberté, de respect, d’égalité et je réponds à ces personnes, qui me renient parce que je représente pour elles l’occident que cela est insultant pour les Tunisiens.
2) Je ne suis pas la Répression :
Bon nombre de Tunisiens m’associent à l’époque Ben Ali et à son régime répressif. Je dois vous avouer que je ne comprends toujours pas cette association. Considèrent-ils que la Tunisie d’avant était laïque ? Dois-je leur rappeler que sous Ben Ali, les Tunisiens ne pouvaient pas jouir d’une liberté de culte. On embêtait les fidèles qui allaient prier dans les mosquées, on empêchait les femmes de se voiler si elles le voulaient, on traquait les barbus, etc. Cela est contraire à mes lois qui aspirent à permettre à chacun de pratiquer sa religion en toute liberté. C’est au nom de mes principes que je dis que porter une barbe ou se couvrir la tête font partie des libertés intangibles de l’individu, sans avoir à chercher le bien-fondé ou l’écart de ces choix par rapport aux prescriptions religieuses. Les pratiques et méthodes de répression du régime Ben Ali ne répondent en aucune manière à mes principes.
Et enfin, moi, Laïcité,
3) Je ne suis pas l’Athéisme :
Pour une raison très simple, c’est que l’athéisme est une doctrine selon laquelle Dieu n’existe pas, alors que moi, je crois à toutes les religions, j’œuvre pour que chaque Tunisien, qu’il soit musulman, juif, chrétien, agnostique, déiste, panthéiste, athée ait la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer sa religion EN TOUTE LIBERTE et dans le RESPECT, sans répression ni un quelconque jugement. C’est ce qu’on appelle liberté de conscience et libertés individuelles et me refuser revient à refuser ces valeurs fondamentales.
Quant à ceux qui affirment que l’islam fait partie de l’identité tunisienne, je leur réponds :
Je cite Lilia Bacha: "Au nom de qui ou de quoi vous permettez-vous de définir l’identité tunisienne? Que vient faire l'identité dans des lois qui sont là pour organiser la vie entre les gens en assurant leurs droits dans le respect de chacun? Si les tunisiens deviennent soumis aux mêmes lois, des lois justes et égalitaires, ne seront-ils pas toujours des tunisiens? "
Ce n’est pas votre identité qui doit régir votre manière de vivre mais votre manière de vivre qui vous donne et qui forme cette identité. Les tunisiennes ne portent pas le Safsari parce qu’elles sont tunisiennes, bien au contraire, c’est ce Safsari qu’elles portent qui leur donne cette identité tunisienne.
Ainsi, moi, Laïcité, j’appelle tous les Tunisiens à être les pionniers d’une vraie laïcité, telle qu’elle devrait être réellement. Créez votre propre laïcité, qui n’est pas celle de la France, ni celle de la Suède, ni celle de la Turquie, mais une laïcité TUNISIENNE, qui ne dénigre ou ne privilégie aucune croyance, aucune religion ; une laïcité juste et égalitaire. Montrez à ces laïcs d’ailleurs qui croient avoir le monopole de la liberté que vous êtes encore plus libres qu’eux. Rendez-moi mon honneur bafoué par ces laïcs du deux poids deux mesures. Clouez-leur le bec.
Dora Bacha
NB: L'idée de séparer les différents points en 3 parties distinctes vient de Lilia BACHA.